L’ami-e modèle au Mucem : Amitié et Art contemporain
Depuis le 15 octobre et jusqu’au 12 décembre, la fondation d’entreprise Pernod Ricard investit le hall d’entrée du Mucem à Marseille, avec une exposition intitulée « L’ami.e modèle ». Abordant la thématique de l’amitié en art et plus particulièrement sous le regard d’artistes contemporains, cette exposition immerge le visiteur dans une galerie de portraits inspirée des grandes demeures du XIXe siècle. Entretien avec Mathieu Mercier, commissaire de l’exposition - Propos recueillis par Axelle Delorme
P&Y : Mathieu Mercier, vous êtes commissaire d’exposition et artiste, pourriez-vous nous en dire un peu plus sur votre métier ?
MM : Je suis principalement artiste. Je n’ai jamais considéré ma relation à l’art seulement en lien avec la création d’œuvres en tant que telles, mais aussi avec d’autres activités en parallèle : penser et organiser des expositions, monter une galerie, travailler avec des ayants droit de Marcel Duchamp dans le cadre de l’édition d’une de ses œuvres, participer à des comités d’acquisition pour enrichir les collections d’État, enseigner, etc. Tous ces projets me permettent d’avoir une vision globale du secteur de l’art et de son marché aujourd’hui.
P&Y : L’exposition a été réalisée au Mucem, sous la coupe de la Fondation Pernod-Ricard, et sur la thématique de l’amitié. Pourriez-vous nous parler plus en détail de la démarche ?
MM : Cette exposition a été réalisée dans un contexte particulier car il s’agissait d’une commande, par la Fondation d’entreprise Pernod-Ricard. Il m’a été demandé de réfléchir à un propos qui puisse réunir plusieurs artistes, et plus particulièrement ceux d’une génération entrant dans le champ des initiatives prises par la Fondation en faveur de la création contemporaine. La plupart des artistes exposés dans “L’ ami.e modèle” font partie de l’histoire et des différentes expositions organisées depuis la création de la Fondation en 1998.
La thématique de l’amitié a été suggérée par le Mucem autour d’une programmation qu’ils avaient mise en place pour la saison 2022-2023, avec deux autres expositions déjà prévues sur ce sujet : « La Chambre d’amis » et « Amitiés, créativité collective » (jusqu’au 13 février). Il s’agissait donc d’étudier une autre vision, compléter le propos, et proposer quelque chose de plus actuel.
P&Y : Comment avez-vous amené cette exposition d’art contemporain au cœur du Mucem ?
MM : Le Mucem n’étant pas un musée d’art contemporain mais plutôt d’art populaire et, par conséquent, brassant un public plus large et varié, il a fallu penser ce projet d’exposition au regard de ce critère-là. L’enjeu était donc d’ouvrir le sujet et de mettre à distance l’idée d’un discours trop pointu, comme peut l’être celui d’une exposition d’art conceptuel ou minimal. Il s’agissait donc de permettre à un public averti de reconnaître artistes et œuvres et aux autres publics moins familiers de comprendre le propos avec clarté. Le choix du genre – le portrait - et la scénographie – la galerie de portraits - y participent puisque cela parle à une grande majorité de personnes. La galerie de portraits fait notamment référence aux demeures du XIXe siècle, dans lesquelles étaient rassemblées les représentations des aïeux et des générations précédentes. J’ai souhaité ici recréer cette idée d’un intérieur saturé d’images, avec des liens de connexion entre chacune.
P&Y : Quels sont ces liens de connexions que vous évoquez entre les artistes, et entre les œuvres ?
MM : Parmi la centaine d’artistes choisis pour cette exposition, tous sont des artistes vivants – à une ou deux exceptions près – et parmi eux quelques-uns se connaissent déjà. Certaines œuvres représentent le même artiste plusieurs fois, les artistes se sont aussi représentés les uns les autres. Lorsque j’ai opté pour cette idée de scénographie, je n’avais pas la mesure du nombre d’œuvres dont je pouvais disposer. Je n’avais alors pas réalisé à quel point les liens existaient entre chaque artiste. Ils pouvaient partager le même atelier, avoir travaillé sur des projets communs, ils pouvaient se représenter par hommage ou par amitié tout simplement.
P&Y : L’exposition présente une diversité de formats, de matériaux et de styles. Qu’est-ce que cela apporte selon vous ?
MM : Il y a effectivement de tout, et principalement du figuratif pour remplir les critères du portrait. Les visiteurs peuvent préférer le style d’un ou plusieurs artistes par rapport à celui d’un autre ou de plusieurs artistes, mais quoiqu’il en soit, ils se retrouvent au cœur d’une profusion de représentations, dans une dynamique de rassemblement, une scénographie généreuse. L’exposition dégage le sentiment d’une vraie convivialité. Certains portraits datent d’il y a plus de trente ans, et au moment du vernissage, ceux qui se connaissaient se sont retrouvés, s’amusaient à comparer les visages changeants, évoquaient des souvenirs. Un dialogue se noue véritablement autour du portrait.
P&Y : Était-ce un challenge d’imaginer une scénographie captivante dans cet espace mis à disposition à l’entrée du Mucem ?
MM : Pour cette mise en scène, compte tenu du placement de l’espace à l’entrée du Mucem, j’ai souhaité évoquer l’idée d’un intérieur surchargé en opposition à un extérieur, avec l’idée d’une rue. La visite commence alors avec cet extérieur : une sculpture imposante de Xavier Veilhan sur un socle comme un monument, un vélo vintage de la marque Mercier contre un mur figurant mon propre portrait par un camarade d’école, une œuvre qui évoque le tag et peinte à même le mur par Bruno Peinado, des photos de Guillaume Janot contrecollées comme des affiches… Il y a donc cette dualité extérieure – intérieur, un jeu entre des pièces d’autres formats et d’autres types afin de mieux capter le visiteur et l’inviter à pénétrer dans l’espace.
P&Y : Comment le sujet de l’amitié est-il abordé par le portrait ?
MM : Beaucoup de choses opposent tous ces artistes, mais le genre du portrait était un des angles qui les rassemblait puisqu’ils en avaient déjà tous réalisé au moins un dans leur carrière. Choisir le portrait permettait de proposer cette scénographie saturée, mais aussi d’être compréhensible par tous. Cela a permis de créer un système de chaîne, générant des connexions, alors que les artistes présentés ne sont pas de la même génération, n’a pas les mêmes opinions, les mêmes conceptions de l’art, ni les mêmes techniques ou les mêmes contextes de création.
P&Y : L’art contemporain au Mucem, est-ce une proposition qui fonctionne ?
MM : C’est une exposition modeste, dans un espace restreint, mais qui recueille beaucoup de monde, grâce au sujet abordé et à la popularité du Mucem. D’ailleurs, les historiens m’ont fait remarquer que le sujet de la représentation des artistes entre eux par le portrait n’avait jamais été traité en tant que tel. Beaucoup d’écrits et d’études existent sur les relations des grands artistes, comme celle de Duchamp et Man Ray par exemple, ou encore celles des impressionnistes. Cela serait alors intéressant d’étendre ces études à d’autres périodes de l’Histoire de l’art, et aux artistes plus largement. Cette exposition pourrait alors être une amorce à cela.
P&Y : Pourriez-vous nous parler de votre conception personnelle de l’amitié ?
MM : Selon moi, il y a différentes sortes d’amitiés : celles qui nous permettent d’appeler quelqu’un à trois heures du matin en cas d’urgence par exemple, mais elles sont rares. Et puis il y a aussi les amitiés artistiques, nombreuses et tournées vers le partage d’idées, l’échange d’intérêts. Ce sont les amitiés qui nourrissent.